Flammarion, 2003
255 pages
ISBN : 2080683454
L’extrait
Tract n° 13
Ils sucent vos âmes. Engagez-vous.
Rejoignez la Mire.
Nous sommes les héritiers des Mohicans, des résistants, des guérilleros. Nous sommes la Fraktion Armée du dernier combat pour la dignité humaine.
Nous avons déclaré la guerre à tous les Goebbels & les Big Brother qui ont le cul dans un fauteuil en cuir & un cigare dans le bec & qui planifient la dictature cathodique.
Notre objectif : éteindre tous les écrans de la planète.
Nous voulons mettre fin au Programme d’Abrutissement des Foules décliné en milliers de chaînes grâce aux câbles & aux satellites. Nous voulons abattre le mur d’images.
Chacun peut agir, à son échelle. Protestez, boycottez, détruisez émetteurs & récepteurs. Tous les moyens sont bons pour endiguer le grand Programme. C’est en unissant nos efforts que nous remporterons la guerre.
L’histoire
Le héros de cette histoire est Mathieu Labech, à la tête d’un groupe de jeunes révolutionnaires baptisé « la Mire ». Distributions de tracts, sabotages, incendies volontaires, plongée dans clandestinité et la guérilla urbaine : ces personnages sont prêts à tout pour faire entendre leur voix, pour nuire à l’industrie des images, à cette dictature des écrans dans laquelle nous vivons. La Mire renoue avec le genre du roman engagé et invente un mythe résolument contemporain : celui des vidéoclastes, les casseurs de télé.
Revue de presse
Jean-Marc Parisis, Le Figaro Magazine, 11 janvier 2003
« La Mire aligne un thème en or, excitant, séditieux, sûrement prophétique. Une bande de jeunes déclassés, apprentis terroristes, en lutte contre la « dictature cathodique », a décidé de s’attaquer au « mur des images » : la télévision, avec sa cour d’audimateurs et de présentateurs. Sur le plan de l’action, Alexandre Lacroix remplit généreusement son contrat (vandalisme, attentats, crimes de sang, enlèvement), sans trop se soucier de vraisemblance. Dans la réalité, on ne donnerait pas deux jours à ses « vidéoclastes » avant de se faire coffrer. Mais bon, « La Mire » n’est pas un thriller. Ce n’est pas non plus un roman à clés démago et vindicatif sur les spectres du paysage audiovisuel. Depuis « Etre sur terre, et ce que j’en retiens », on sait qu’Alexandre Lacroix a le don de dévier le tir sans rater son cœur de cible. « La Mire » est, littéralement, un roman-écran, qui s’intéresse moins à la misère télévisuelle qu’au destin des rebelles, à l’avenir de la révolte. Aux décors artificiels des plateaux, l’auteur substitue la glorieuse ruine d’un entrepôt squatté. Au fond de teint du show-biz, il préfère le grain des matins blêmes en cavale. À la sidération organisée, il oppose l’aventure et la fidélité. C’est ce que l’on appelle choisir son camp, sauter dans l’ombre de ses personnages. Solemar le nihiliste, Hanna, qui devient belle à mesure que l’étau se resserre, et leur chef Labech veulent « sauver le temps humain, l’imprévu et l’étincelle ». Beau programme. Le seul que Lacroix accepte de fixer, à l’œil nu, avec la gravité naïve des orphelins de l’idéal.
Aude Lancelin, Le Nouvel Observateur, 6 février 2003
« Aujourd’hui, Netchaïev ne rêverait pas de prendre le Palais d’Hiver, il plastiquerait le plateau de la « Star Academy » ou le plateau de « Ça se discute ». Il s’en prendrait aux nouveaux tsars, à ceux qui font claquer chaque soir leur fouet à paillettes sur le dos d’un peuple ravi. Mathieu Labech, héros du nouveau roman d’Alexandre Lacroix, en est à son troisième stage de six mois dans le journalisme. Les sociologues appellent ça désormais un « intello précaire ». Un type à qui le kir tiède des cocktails littéraires, la lecture du guérillero Carlos Marighella ainsi qu’un Œdipe mal digéré ont un peu embrumé le citron. Avec quelques petites pasionarias RMistes et d’autres paumés comme Jipé, quintuplant son deug à Tolbiac, ou Sol, camé plus ou moins zoophile, il a fondé un groupuscule, « la Mire ». Objectif : « Eteindre tous les écrans de la planète. » En attendant cette « grande nuit », ils bousillent des caméras de surveillance, enlèvent une héroïne de sitcom pour lui taguer « je suis une collabo » sur le corps, et projettent de « flouter » à l’acide le visage d’un présentateur vedette, qu’ils finiront par achever. De squats pourris en quartiers pénitentiaires, c’est leur dérive héroïco-minable qu’Alexandre Lacroix, 27 ans, décrit ici, ainsi que leur imaginaire de zonards semi-lettrés, entre bande à Baader et souvenir des iconoclastes byzantins du VIIIe siècle, balafrant le visage des madones chères au bon peuple. « Comme à eux, l’Histoire nous donnera tort car nous avons engagé un combat contre la religion de l’avenir. » Alexandre Lacroix cultive une tendresse ambiguë pour ses personnages de Pieds Nickelés nihilistes, qu’il préfère du reste multiplier plutôt que d’affiner sa critique de la télévision. Demeure la justesse inquiétante du portrait qu’il dresse ici de la génération née grosso modo après 1973, sans pères ni mission historique. De paradoxaux « enfants gâtés du vide », gorgés depuis le berceau de fientes télévisées inregardables, et « se sentant bien davantage les fils du spectacle régnant que de ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés », pronostiquait Debord dans son film-testament de 1978, In girum imus nocte et consumimur igni. Une génération de mutants où pourraient bien se recruter en effet les Possédés de demain. »
Étienne Dumont, La Tribune de Genève, 11 février 2003
« Ils sont trois. Cette trinité vengeresse s’attaque à la télévision, vue comme le mal absolu. La lutte commence par des bris de caméras. Elle se poursuit avec des destructions d’archives audiovisuelles. Une animatrice se voit molestée. Le groupuscule, que nul ne rejoint, se radicalise. Suit donc le meurtre d’un présentateur genre Patrick Poivre d’Arvor. La cavale peut commencer.
Quatrième livre d’Alexandre Lacroix, La Mire crée un mot nouveau. L’auteur nous parle de « vidéoclastes », en référence aux iconoclastes byzantins. Lors d’un enlèvement de producteur TV, Hanna, Sol et Mathieu n’exigent-ils pas que les écrans projettent la mire, comme les religieux avaient proscrit les images saintes pour ne laisser que la Croix ?
« J’ai été frappé par le fait que la télévision n’ait engendré aucun contre-pouvoir », explique l’auteur. « En politique, vous avez les opposants. Le commerce a suscité les antimondialistes. Face à la TV, rien. Son pouvoir dévastateur semble pourtant bien plus grand que celui de l’alcool ou du tabac. C’est elle qui nous prend le plus de temps après le sommeil et le travail. »
Dans les années 60, Jean-Pierre Mocky, autre iconoclaste, s’était déjà attaqué aux « étranges lucarnes » avec La grande lessive. L’instituteur Boruvil y cassait de nuit les antennes sur les toits. « C’est curieux. On me parle tout le temps de ce film que je n’ai jamais vu. » Il s’agissait encore là d’un activisme gentil. Mais n’allait-il pas de pair avec le temps où Jean-Christophe Averty, Cinq colonnes à la Une ou Dim dam dom faisaient encore le « prime time » ? « Possible, mais la TV semble aujourd’hui insauvable. J’en veux pour preuve qu’elle subit dans tous les pays occidentaux le même nivellement. Arte n’est qu’un ghetto créé par la France pour excuser le secteur public de faire du TF1 sur la 2 ou la 3. »
Petit roman palpitant qui se lit d’une traite, « La Mire » constitue une fiction. « Je ne pense pas qu’il en restera ainsi. Il y aura un jour prochain, d’une manière ou d’une autre, que je ne peux évidemment pas décrire, des attentats contre des vedettes TV. » Alexandre Lacroix s’explique. « Les anarchistes, au début du XXe siècle, se sont attaqués aux politiques. La guerre de 14 est issue d’un de leurs actes. Sentant le glissement, la bande à Baader ou les Brigades rouges ont traqué après 1968 les représentants des intérêts américains ou financiers. Il n’en est pas sorti grand-chose. Aujourd’hui, la TV offre le véritable pouvoir. Tout le monde se fait petit pour y passer. n journaliste peut y asticoter un homme d’état ou un grand capitaliste. En plus, il déteint un tel capital image qu’il en devient inamovible. »
Mais comment le public réagirait-il à une bombe visant Claire Chazal ? « Il y aurait un tollé officiel. Les journaliste forment un tel lobby qu’ils arriveraient à faire croire à une catastrophe nationale. Chez les spectateurs, l’attitude se ferait plus ambivalente. Au choc initial succéderait sans doute le plaisir, voire la joie sauvage, de voir l’idole déchue. L’amour se transforme vite en haine. » Une haine discrète. Pas question pour eux, bien sûr, de rejoindre les terroristes.
Dernière question. Alexandre Lacroix a-t-il la télévision ? « Non, bien sûr. Pourquoi faire ? »