Flammarion, collection « Café Voltaire », 2010117 pagesISBN : 978-2-0812-4545-7
L’extrait
« Calomnier un ministre ? Fastoche. Comparer le sarkozysme au pétainisme, publier une tribune vitriolée sur le président de la République ? Les doigts dans le nez. Se moquer des tocades des milliardaires gâteuses, ironiser sur les déclarations des patrons du CAC 40 ? Ça passe encore. Mais il est un crime de lèse-majesté suprêmement tabou, une ligne rouge à ne pas franchir en démocratie : interdiction de toucher un seul cheveu d’un présentateur télé. Si vous l’osez, on mènera campagne contre vous. On essaiera de vous contredire, de vous discréditer, de vous faire passer pour un irresponsable, un gauchiste attardé, que sais-je ? On vous guettera avec un couteau dans le dos à la moindre de vos apparitions publiques. Vos amis, du moins ceux qui rêvent de passer à la télé ou de travailler pour elle, vous battront subitement froid. Le présentateur est le nouvel homme de pouvoir, l’alligator en chef, le terrible et redouté Téléviathan, roi incontesté du marécage. Gare à toi, sentimental ibis rose, gracile antilope ou gentil phacochère : le Téléviathan a l’air sympa comme ça, de loin, mais il est préférable de ne pas t’en approcher. Si on s’en va le chatouiller, il mord sans pitié. Il a l’œil torve, l’air impassible, mais sa mâchoire est d’acier et sa puissance inégalable. J’exagère ? Oui, un peu. Mais pas tant que ça… »
Le thème
Cet essai prend pour point de départ une polémique qui a opposé l’auteur au présentateur Christophe Hondelatte, dans le cadre d’un débat d’idées animé par ce dernier. S’ensuit une réflexion sur le pouvoir de la télévision dans nos sociétés, invitant les spectateurs à se libérer de la fascination pour les images, à ranger leurs télévisions à la cave.
Revue de presse
Jean Birnbaum, Le Monde des Livres, 2 juillet 2010
« Les librairies sont envahies par des livres écrits à la va-vite. Rédigés à l’occasion de tel événement politique ou de tel scandale financier, les ‘‘quick books’’ sont souvent oubliés à l’instant même où leur lecteur les referme. Au XIXe siècle déjà, Léon Bloy nommait cela ‘‘littérature industrielle’’ : elle ne répond à aucune nécessité d’écriture, obéissant aux seules injonctions du dividende. Pourtant, il arrive que ce type d’ouvrage échappe au pur opportunisme éditorial et marchand. Dans ce cas, leur parution précipitée signifie non un mépris du livre mais, au contraire, l’impérieuse nécessité de réaffirmer l’éthique du texte, l’urgence de la restaurer dans sa pleine souveraineté. Voyez le bref pamphlet signé Alexandre Lacroix, auteur de plusieurs romans et rédacteur en chef de Philosophie Magazine. Dans Le Téléviathan, ce jeune homme de 35 ans raconte un épisode à première vue sans réelle importance : la violente altercation qui l’a opposé, le 12 mars, dans les studios de France 2, au présentateur Christophe Hondelatte. Ce jour-là, Lacroix participe au débat programmé après la diffusion du ‘‘Jeu de la mort’’, un documentaire consacré à l’emprise du petit écran sur M. Tout-le-Monde. Cette discussion doit être l’occasion d’une démarche devenue rare : les intervenants sont invités à la télévision pour critiquer la toute-puissance de ses images et de ses animateurs. D’entrée de jeu, pourtant, Hondelatte instaure un climat d’intimidation. Interrogeant l’un des candidats du ‘‘Jeu de la mort’’, il tente à toute force de lui faire avouer son homosexualité. Le malaise est déjà bien installé sur le plateau quand Alexandre Lacroix prend la parole pour marquer le scandale : ‘‘Ce à quoi nous venons d’assister ressemblait à un véritable interrogatoire, souligne-t-il. (…) Tout le monde plie, parce que le plateau de télévision est un dispositif coercitif au centre duquel le présentateur a le pouvoir.’’ La réponse de Christophe Hondelatte ne se fait pas attendre. ‘‘Bon, ben c’est très simple. On va être très clair. Tu vois la porte, là ? Tu sors. Tu dégages ! Pas de ça dans mon émission.’’ Cette scène a bouleversé Alexandre Lacroix. Très vite, il a décidé de prendre la plume afin de raconter les conséquences de la confrontation. À lire son récit, on se demande d’abord : pourquoi tant de détails ? Fallait-il vraiment restituer les attaques personnelles, les SMS vénéneux, les pressions sur l’entourage ? Au fil des pages, pourtant, on comprend. Ce qui a traumatisé Lacroix, dans cet épisode, c’est moins sa brutalité que son sens politique et intellectuel. C’est l’idée que le grand Meccano télévisuel puisse faire triompher des hommes qui verrouillent les débats tout en brandissant la liberté d’expression comme un étendard. À la perversion d’un monde où les images règnent pour mieux domestiquer les mots, Le Téléviathan oppose un texte obstiné, une prose en colère, un discours à la fois impatient et articulé. Autrement dit, à peu près tout ce qui reste aux amis des livres et des idées. »
Laurent Larcher, La Croix, 19 mai 2010
« Au bout du compte, l’argument décisif qu’il retient est que la télévision entre en concurrence avec la seule activité qui vaille : vivre ! Un livre réjouissant. »
Raphaël Enthoven, L’Express, 26 mai 2010
« Le vrai problème de la télévision est non pas la violence, ni la pornographie, ni même la télé-réalité… mais le ‘‘montage’’, ou l’art de tailler à la serpe les paroles des invités. Par-delà l’éventuelle indignité ou vulgarité de ce qu’elle montre, c’est quand la télévision dissimule quelque chose qu’elle devient réellement obscène. Le meilleur exemple de falsification télévisuelle demeure, à cet égard, l’histoire de l’altercation entre Christophe Hondelatte et Alexandre Lacroix lors d’une émission consacrée justement à la question de la violence à la télé, au cours de laquelle, après avoir révélé, contre son gré, des détails de la vie privée d’un participant au documentaire de Christophe Nick sur le sadisme ordinaire, Hondelatte entreprit d’exclure manu militari le philosophe, qui lui reprochait ses méthodes, avant lui-même… de tout couper au montage. Nul ne verra jamais, donc, les images qui mettent idéalement en abyme le propos de l’émission. Troublant trou noir dont le philosophe a tiré un petit livre passionnant où, tout en définissant l’Audimat comme ‘‘l’instrument de mesure statistique qui permet aux programmateurs de calculer précisément le niveau de bassesse auquel situer leurs émissions’’, Alexandre Lacroix échappe néanmoins aux lieux communs sur le petit écran. Exit Pierre Bourdieu, par exemple, dont l’écriture poussive disqualifie la dénonciation du ‘‘temps bref’’; exeunt, à sa suite, tous ceux qui jugent de la bonne ou de la mauvaise qualité d’un programme et dont Lacroix rappelle qu’en parlant ainsi ils prononcent d’abord un ‘‘jugement de classe’’. L’unique argument du penseur téléphobe est d’autant plus efficace qu’il est simple : ‘‘La vie paraît plus belle sans télé.’’ Pourquoi ? Parce que, en médiateur ambivalent, la télévision nous sépare du réel qu’elle prétend nous montrer, et parce que, ‘‘avec l’irruption du téléviseur dans la salle à manger, la famille devient un lieu public… où l’on se côtoie sans se connaître’’. Et Lacroix de conclure son livre en faisant le rêve d’un monde sans télé. Utopie ? Contentons-nous déjà, dans l’immédiat, de fuir les émissions qui découpent les propos des invités. Censurons la censure. Interdisons le montage dans les émissions de débat. Enlevons sa serpe à l’animateur. Qu’à défaut du présent on ait au moins du direct. Que le temps perdu devant le petit écran soit, au moins, du temps réel. »