Contribution à la théorie du baiser

Autrement, repris en J’ai lu.

2011.

152 pages.

ISBN : 978-2290100530

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L’extrait


« Un soir de décembre, ma femme s’approcha de moi et me fit un reproche que j’avais déjà entendu maintes fois dans sa bouche : « Tu ne m’embrasses pas assez ! », me dit-elle. « Tu es aride. Mais pourquoi est-ce que tu ne penses jamais à me prendre dans tes bras, juste pour me donner des baisers ? » Comme d’habitude dans ces cas-là, je me contentai de hausser les épaules.

Mais un peu plus tard dans la soirée, alors qu’elle était partie dormir et que je passais quelques heures à mon ordinateur, j’ai tapé une suite de réflexions sur le baiser, qui forme le premier chapitre de ce livre. J’avais, en effet, envie de faire le point – et quand on n’y voit pas clair, rien de tel que d’écrire. Où en étais-je avec le baiser ? Qu’y avait-il dans ce geste si simple qui me le faisait paraître inutile ou difficile ? Le lendemain, en me relisant, j’ai senti que j’avais touché un sujet plus profond qu’il n’y paraissait au départ… »

Le thème


L’auteur voyage dans ses souvenirs et s’interroge sur le rôle que jouent les baisers dans une vie, de l’adolescence à l’amour conjugal. Cette enquête l’amène aussi à parcourir l’Histoire, de la Rome Antique au cinéma hollywoodien, des poètes de la Renaissance à Freud, pour trouver la clé de cet acte si courant qu’on oublie d’y penser : le baiser.

Revue de presse

Philippe Chevallier, L’Express, le 31 août 2011

« Les gestes aussi ont une histoire, même ceux qui semblent les plus naturels, comme anticipés par l’anatomie. En public, on ne s’embrasse pas partout – que ce soit à la surface du corps ou de la Terre – ni pour les mêmes raisons. D’où vient donc cette étrange habitude d’accoster aux lèvres de l’autre ? Romancier et rédacteur en chef de Philosophie Magazine, Alexandre Lacroix tente de répondre à cette question en déclinant toute la gamme des baisers, du premier bisou de collégien aux plus fougueuses étreintes érotiques, du baiser de paix au baiser de Judas, afin d’en révéler la signification secrète. La beauté du style drape chastement le sujet, et la pensée devient à son tour geste élégant : « Si l’acte sexuel est un point, le baiser est une virgule. » Butinant avec bonheur les mœurs et les arts d’Occident (Les Amours de Ronsard, La Nouvelle Héloïse, de Rousseau ; les tableaux de Klimt ou de Munch ; le cinéma hollywoodien), l’enquête se révèle autant théorique qu’autobiographique, avec au détour quelques pépites historiques ; saviez-vous par exemple que l’on doit au christianisme la remise à l’honneur du baiser aux premiers siècles ? Grande et petite histoire se croisent avec humour et intelligence, tandis que d’un simple geste Alexandre Lacroix tire une belle métaphysique, à la Naïveté assumée : le baiser est un instinct de préservation dans un environnement fragile où les liens se distendent et où gronde la destruction. Embrassons-nous, donc, puisqu’il en va de la survie du monde. »

Cécile Guilbert, Le Monde des Livres, 3 novembre 2011

« Bises, kiss, je t’embrasse, des baisers, baci : de quoi ces formules rituelles, parfois multilingues et régressives (songez à l’atroce prolifération de bisous) clôturant échanges téléphoniques, SMS et courriels sont-elles le nom ? la chose ? qui pense à quoi en les écrivant, en les prononçant ? à quelle partie du corps ? et à quel genre de baiser ? S’il y a fort à parier que nul ne pense plus à rien tant ces mots sont devenus mécaniques, avouez qu’il suffit de les creuser pour qu’aussitôt jaillissent gestes, sensations, affects, images. Laissez venir doucement les questions, cherchez les réponses dans l’histoire des civilisations, l’art et la philosophie, rappelez-vous vos lectures et vos émois, agitez bien : l’élixir est prêt et le baiser, sublime sujet, devient inépuisable.

(…) ‘‘Tu ne m’embrasses pas assez ! Pourquoi est-ce que tu ne penses jamais à me prendre dans tes bras, juste pour me donner des baisers ?’’ De ce reproche que lui adresse un jour sa femme, déclenchant une interrogation sur sa négligence d’un ‘‘geste si simple qui me le faisait paraître inutile ou difficile’’, Alexandre Lacroix, 36 ans, essayiste, romancier et directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, a tiré la matière d’une enquête passionnante sur l’histoire du baiser comme sur celle de sa propre maturation amoureuse. Empruntant son titre à Kierkegaard (1813- 1855), qui songeait à rassembler ses notes dans une Contribution à la théorie du baiser, elle alterne souvenirs intimes et réflexions générales inspirées par l’histoire des mœurs, de l’art, mais aussi la psychanalyse et le cinéma. D’où son côté encyclopédique insolite et réjouissant.

Saviez-vous qu’en dépit de sa présence en bas-reliefs sur certains temples indiens, les origines historiques du baiser étaient obscures et sa pratique rien moins qu’universelle ?

Au XIXe siècle, foi d’explorateurs, ni les Tahitiens, ni les Japonais, ni les Amérindiens ne s’embrassent, certaines tribus africaines préférant se lécher les yeux, les habitants de la Terre de Feu se frotter les joues, les Iakoutes sibériens y poser leur nez pour les respirer longuement en fermant les yeux. Autre mine : la tripartition romaine du basium familial (‘‘contact des lèvres sans intromission de la langue’’), de l’osculum (le même entre pairs) et du suavium (‘‘baiser langoureux et lascif donné la bouche ouverte’’). Le basium fut recommandé par saint Paul et adopté avec enthousiasme par les premiers chrétiens, jusqu’à ce que, suspect d’alimenter la débauche, il soit interdit par Innocent III (pape de 1198 à 1216) qui le réserva à sa propre mule, aux anneaux des évêques et aux reliques des saints ! Dieu merci, viennent au XVIe siècle l’humaniste Francesco Patrizi, les poètes Jean Second et Ronsard pour faire du baiser sur la bouche le ‘‘maître baiser’’ et la ‘‘pierre angulaire de l’amour’’.

(… ) Ainsi, l’ayant d’abord envisagé comme un ‘‘chichi sentimental’’ et se demandant toujours à la fin s’il n’est pas ‘‘un truc de filles’’, Lacroix, qui a fait le récit de sa propre éducation au baiser et à la ‘‘baise’’, oscille entre romantisme rousseauiste et libertinage, vise juste en affirmant que ‘‘les hommes traitent en général le baiser comme leur propre part de féminité. (…) On comprend que les femmes raffolent des hommes qui embrassent bien : ceux-là sont des perles rares, capables de stopper le show machiste, de tomber les armes et le cynisme guerrier, de traiter avec douceur la femme qui est en eux’’. Quid alors de la masculinité des femmes et des baisers homoérotiques ? La réponse pourrait se trouver chez Baudelaire, à ‘‘Lesbos où les baisers sont comme les cascades qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fond, et courent, sanglotant et gloussant par saccades, orageux et secrets, fourmillants et profonds’’. »